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Aquin : l’invasion des parasites ruine les efforts des paysans par Fenel Pélissier 16 octobre 2024

La production du petit mil revêt une importance capitale pour les producteurs aquinois

Les plantations de petit mil des paysans de la commune d’Aquin, dans le département du Sud, sont en proie à une invasion de pucerons jaunes, causant un manque à gagner considérable pour les producteurs de cette céréale dans la région.

Jean Marc, cultivateur résidant à Morisseau, une des sections communales d’Aquin, cultive le petit mil aux côtés de son père depuis son jeune âge.

L’homme rencontre des difficultés majeures pour continuer à cultiver le sorgho, communément appelé petit mil, en raison des parasites qui envahissent les jardins.

L’année dernière, Jean Marc, âgé d’une cinquantaine d’années et père de deux enfants, avait planté près d’un demi-carreau de terre – soit 0,7 hectare – en petit mil, mais la récolte obtenue n’a pas suffi à couvrir les besoins de sa famille en raison des pertes enregistrées.

Un jardin de petit mil à Aquin, le 17 septembre 2024 | © Jean- Gardy Saül

« Nous faisons face à cette situation depuis plusieurs années. À cause de ce parasite, beaucoup de planteurs ont abandonné la culture du sorgho pour se tourner vers d’autres cultures, comme le maïs », constate Jean Marc qui dit planter également du maïs et d’autres denrées agricoles, ce qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille.

À la tête de la ferme Jubilée, fondée avec d’autres associés en 2012 et située à Lomont, une localité dans la commune d’Aquin, Darilus Etienne a dû abandonner la culture du petit mil en raison des faibles récoltes.

La ferme, qui s’étend sur 100 carreaux de terre – soit 129 hectares – produit désormais du haricot, du maïs et surtout de l’arachide. La production du petit mil revêt une importance capitale pour les producteurs aquinois.

En raison de son indice glycémique de 71, ce produit est très apprécié des personnes diabétiques. En Haïti, les cultures céréalières les plus répandues sont le maïs, le riz et le sorgho.

En Haïti, les cultures céréalières les plus répandues sont le maïs, le riz et le sorgho. En 2019, la production de sorgho a été estimée à 9 184 tonnes métriques, selon un rapport du Ministère de l’Agriculture.

Le petit mil est utilisé dans la fabrication de boissons alcoolisées, comme la bière.

« Nous faisons face à cette situation depuis plusieurs années. À cause de ce parasite, beaucoup de planteurs ont abandonné la culture du sorgho pour se tourner vers d’autres cultures, comme le maïs »

Selon Gaël Pressoir, directeur du Centre haïtien d’innovation sur les biotechnologies et l’agriculture soutenable (Chibas), deux ravageurs principaux attaquent le petit mil : le puceron jaune et la mouche cécidomyie – un insecte diptère dont les larves vivent en parasites sur des plantes céréalières ou des arbres fruitiers en causant des dégâts importants.

Les pucerons jaunes se nourrissent de la sève du petit mil, déversant une sécrétion huileuse et sucrée attirant d’autres insectes comme les mouches et les fourmis. Cette sécrétion noircit la plante et altère son bon développement.

Selon des témoignages recueillis par AyiboPost, le phénomène était déjà présent bien avant le passage de l’ouragan Matthew dans le département du Sud en 2016.

Après la catastrophe, les dégâts se sont intensifiés, avec des plantations entières de petit mil jaunissant sous l’effet des parasites. Près de cinq millions de personnes sont en insécurité alimentaire en Haïti, selon les dernières statistiques publiées par la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire.Renel Polot, membre de la municipalité d’Aquin, indique que le petit mil est une culture essentielle pour la région.

« Lorsque le puceron a attaqué le petit mil, les cultivateurs ont enregistré d’énormes pertes en termes de rendement », rapporte le maire.

L’agronome Wilbert Lubin, qui dirige une ferme à Fond-des-Nègres, mentionne également d’autres ravageurs comme la mousse des pousses, les termites, les sauteriaux, la chenille légionnaire d’automne, les foreurs de tiges, et les punaises panicules.

En 2017, des chercheurs haïtiens du CHIBAS de l’université Quisqueya ont introduit des variétés résistantes aux maladies appelées Pa pè pichon. Cet exploit a permis aux paysans de contrecarrer les attaques de parasites, redonnant ainsi vie à la production de petit mil.

« Lorsque le puceron a attaqué le petit mil, les cultivateurs ont enregistré d’énormes pertes en termes de rendement »

L’agronome Darilus Etienne a expérimenté la variété de petit mil Pa pè pichon sur une surface équivalente à 42 carreaux de terre. Mais l’expérience n’a pas été entièrement concluante.

« Seuls 10 carreaux ont donné des résultats satisfaisants », relate-t-il, ajoutant que la plantation a été attaquée non seulement par les parasites, mais aussi par les oiseaux. Pour réussir ses cultures, « un planteur doit utiliser beaucoup de pesticides ».

Selon le Dr Pressoir, il est possible que le puceron soit présent à Aquin et affecte les plantations. Il précise que « les pucerons attaquent même les variétés résistantes. Cependant, ces variétés, même en présence du parasite, et même si leur rendement se trouve diminué, donneront tout de même un rendement appréciable, sauf si elles sont attaquées par la cécidomyie. »

Deux hypothèses pourraient expliquer les problèmes rencontrés avec les variétés de petit mil cultivées par les paysans dans la commune d’Aquin, selon Gaël Pressoir. La première possibilité, dit-il, est que les paysans pourraient cultiver d’anciennes variétés qui ne sont pas résistantes aux parasites.

« Nous avons passé plus de deux ans sans la présence du parasite dans notre environnement », explique Pressoir, qui dit avoir constaté le retour d’anciennes variétés de sorgho sensibles au puceron jaune plantées par des paysans.

La deuxième hypothèse, poursuit le chercheur, est que durant ces deux dernières années, le pays a connu de nombreux épisodes de sécheresse, dont l’alternance avec des périodes pluvieuses favorise le développement du parasite.

D’après le chercheur, il se pourrait que l’une ou les deux possibilités existent en même temps.

L’agronome souligne, par ailleurs, la présence d’un autre agent perturbateur à la production du petit mil en Haïti. Il s’agit de l’insecte appelé la mouche cécidomyie, qui se multiplie en vingt et un jours, pondant des œufs à l’intérieur des fleurs de la plante, empêchant ainsi les graines de se développer.

Cela accorde un délai de vingt jours aux agriculteurs pour planter, après le démarrage des pluies ou après les premiers semis.

« Si tout le monde n’arrive pas à planter durant cette période de vingt jours, celui qui plante en dernier devra faire face à la cécidomyie », explique Pressoir.

Cette règle ne s’applique pas si les paysans plantent le gros pitimi, communément appelé pitimi photopériodique ou pitimi lane.

« Quel que soit le moment où vous choisissez de planter le gros pitimi, cela donnera le même rendement. Le pitimi Lane présente donc un avantage certain par rapport à la cécidomyie ».

Le petit mil n’est pas la seule culture attaquée par les parasites dans la région.Les cocotiers – une culture essentielle pour la population locale – ainsi que les avocatiers, les citronniers et les manguiers, subissent également ces assauts.


Un cocotier attaqué par la cochenille | © Gaël Pressoir

Richardly Fleury, un habitant de la région, s’est lancé dans la vente de pépinières de cocotiers, de manguiers, et d’avocatiers aux cultivateurs.

Une pépinière attaquée par la cochenille. | © Richardly Fleury

L’homme constate que les cocotiers ne bourgeonnent plus comme avant. De plus, les fruits sont plus petits, et la culture est en déclin dans la zone d’Aquin.En 2020, Fleury a quitté la capitale haïtienne pour s’installer à Aquin, où il gère l’entreprise informelle de son père, spécialisée dans la préparation et la vente de pépinières de fruits.

« Le prix de la noix de coco a triplé sur le marché. Une noix de coco se vend à 200 gourdes et la douzaine à 2500 gourdes », explique-t-il à AyiboPost. « Mon père pouvait vendre plus de dix douzaines de noix par jour, mais maintenant, ce n’est plus possible ».

Selon Gaël Pressoir, une combinaison de facteurs comme la sécheresse, une mauvaise nutrition des plantes, ainsi que les phénomènes El Niño et La Niña pourraient être à l’origine de ces attaques.

Face à ces défis, des cultivateurs essaient de s’adapter.

« Le prix de la noix de coco a triplé sur le marché. Une noix de coco se vend à 200 gourdes et la douzaine à 2500 gourdes »

L’agronome Wilbert Lubin, qui possède une porcherie et élève divers animaux, confie avoir planté l’année dernière 3000 mètres carrés de petit mil et de pois Congo sans subir de pertes.

« J’ai ma propre méthode pour contourner le problème », confie-t-il à AyiboPost. « Si je plante du petit mil cette année, l’année prochaine, je cultiverai autre chose ».

D’autres agriculteurs se tournent vers des cultures agricoles ou l’élevage qui leur offrent plus de garanties.

Jean-Gardy Saül, agronome travaillant avec les paysans de la région, explique que son père avait arrêté de cultiver le petit mil à cause de ces parasites. Ce n’est qu’en 2023 que certains habitants ont commencé à reprendre confiance et à replanter du petit mil, bien que le goût de la variété Pa pè pichon ne soit pas le même que celui du petit mil Madan Michel, autrefois privilégié par les paysans.

Les chercheurs explorent d’autres alternatives.

Gaël Pressoir souligne que le laboratoire CHIBAS développe aujourd’hui des variétés de petit mil beaucoup plus résistantes que celle dénommée Pa pè pichon.

Ces variétés de petit mil sont créées à partir du petit mil local et de variétés résistantes développées en laboratoire pour répondre aux défis agricoles du pays.

Image de couverture :  | © Wikimedia

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